Le jeudi 20 septembre a eu lieu une
conférence hors-cycle : « L’hébreu et le grec : une entrée
dans la Bible ».
Danielle Ellul (1), professeur de théologie,
à l’Institut catholique de Toulouse, a partagé sa passion pour les origines de
la langue biblique. Classés parmi les « langues mortes », l’hébreu et
le grec bibliques ont pourtant une vie. Ils véhiculent une pensée riche, en
mouvement et permettent de discerner les enjeux théologiques des textes.
Et particulièrement l’hébreu ; il
présente quatre caractéristiques essentielles.
Il est
« concret et réel ». Il se rapporte toujours à une réalité
concrète : - « אַף » = « être en colère
», c’est avoir «le nez» qui s’enflamme ! – « כבד » signifie « gloire » mais aussi
« foie » et donc, ce que nous traduisons par « gloire de
Dieu », n’est pas la renommée mais le poids de la présence de Dieu puisque
le foie est l’organe le plus lourd. Ce que nous appelons « esprit »
et que nous considérons comme une faculté intellectuelle se transcrit « רוח » ; en hébreu, c’est
encore le « souffle », le « vent » ; ce qui exprime
d’abord le mouvement, l’air en mouvement, le souffle de l’Homme, sa force
vitale mais son caractère éphémère. C’est le souffle de Dieu en tant que
puissance créatrice, toujours en mouvement. « Conclure une alliance »
revient « à couper » une alliance (sens de la circoncision) avec
l’action sous-jacente de trancher, de faire un choix exclusif. (2)
Tous ces exemples montrent qu’il
n’existe pas de pensée philosophique abstraite ; toutes les actions, dans
la Bible sont bel et bien concrètes. On parle d’anthropomorphisme
biblique : Dieu est vivant et agit comme agirait un homme.
Il est « relation et
mouvement ». Tous les mots expriment un mouvement, une action,
une relation entre deux personnes. « Rendre la justice », ce n’est
pas « passer devant un tribunal », c’est rétablir quelqu’un dans
ses droits, c’est délivrer le pauvre, arracher l’opprimé à sa détresse. Bref,
rendre la justice, c’est conduire, protéger, gouverner, rétablir une situation
perturbée.
L’hébreu a un
caractère dynamique ; l’ordre de la syntaxe, c’est V+S+CO (pour nous
syntaxe=S+V+CO). Il n’existe pas de temps. L’action ne se décompose pas en
passé/présent/futur ; elle n’est pas située par rapport au sujet. L’action
est située par rapport à elle-même ! Avec l’hébreu, nous sommes soit dans
« l’accompli », l’action est terminée mais concerne le futur ou dans
« l’inaccompli », une action passée comme si on assistait à son
accomplissement (c’est le temps du récit).
Indépendamment de
l’action, celle-ci est soit en cours d’accomplissement ou pas encore commencée.
Un exemple : dans Dt 6,5 « Tu aimeras l’Eternel, ton Dieu… », il
s’agit déjà d’un acte d’amour.
Sur le plan théologique, pour un
Hébreu, il n’y a pas de recherche de ce qu’est Dieu en soi. Seule son action,
son mouvement vers l’homme est important autant que le mouvement de l’homme
vers Dieu. Ce mouvement exprime ce que Dieu dit et fait. Dieu est toujours en
action et on ne nous dit pas qui il est.
La Révélation biblique n’est pas un
système figé, immuable. Elle est un mouvement qui se renouvèle et s’accomplit
sans cesse. Nous sommes dans l’action.
Il est « unité et totalité ». La pensée occidentale est analytique. Elle raisonne par déduction. Elle
part du détail et va vers la totalité. En hébreu, c’est l’inverse. La pensée
part de la totalité et va de plus en plus dans le détail. En Gn 12,1
« L’Eternel dit à Abraham : va-t-en de ton pays, de ta patrie, et de
la maison de ton père, dans le pays que je te montrerai ».
On parle du
Cananéen, du Moabite pour signifier qu’un homme représente la totalité du
peuple auquel il appartient. Par contre, le peuple est unité, il est « une
seule voix ». Dans son alliance avec Dieu, il s’agit d’une acceptation
collective du peuple puis d’une adhésion individuelle.
Le comparatif n’a pas de forme en
hébreu ; pour signifier, par exemple, que « le fils est plus grand
que son père », l’hébreu dit « le fils est grand, hors de son
père ». Sur le plan anthropologique, la répercussion est importante :
l’homme n’a pas une âme, un corps et un esprit distincts mais il est une
totalité, une et indivisible.
Il est « plénitude et
force ». De la même manière, la forme superlative n’existe
pas. Elle s’exprime par une forme de plénitude de l’objet, par répétition des
mots : « Le Roi des Rois » est le Roi dans toute sa plénitude
royale. La force s’exprime dans les multiples sens d’un même verbe ; c’est
une voix intensive : « parler », c’est parler et agir en même
temps, c’est un même acte, un acte de puissance. « Chercher » Dieu,
c’est « être passionné pour lui » d’où le caractère concret
de Dieu dans sa relation avec le peuple.
Qu’en est-il du
grec biblique ? Volontairement et dès le départ, Danielle Ellul a fait le
choix d’avoir une approche plus rapide.
La Septante est
écrite par des Juifs pour s’adresser à des non-Juifs et être compris. Les
différences grammaticales sont nombreuses. Le grec est une langue à flexion, à
déclinaison et donc l’ordre des mots est libre. Le système verbal est plus
complexe : le temps marque l’aspect de l’action. C’est une langue d’une
grande précision tout en subtilité et elle invente un vocabulaire spécifique :
exemple : « eido » qui se traduit par « apparence »
devient « idole » dans la Septante et va ensuite donner naissance à
l’idolâtrie.
Paul fabrique toute une collection de
mots pour traduire l’affection pour Dieu. Un langage, un discours théologique
naît. Nous entrons dans un mode de pensée différent, plus statique,
métaphysique et donc créateur de vérités éternelles et c’est la naissance de
dogmes. On ne peut plus parler directement à Dieu. Avec le grec biblique,
s’exprime une nouvelle réalité de l’Eglise.
Plusieurs questions se posent : l’hébreu biblique ne devrait-il pas être d’utilité publique, puisqu’il semblerait que le message originel, mal traduit, n’ait pas été transmis ou mal ou pas dans sa totalité? Que du coup, de siècle en siècle, les individualités sont devenues plus puissantes ? Et ont permis les communautarismes, au moins source de divisions, au pire source de guerres, ici peut-être, ailleurs très certainement?
Plusieurs questions se posent : l’hébreu biblique ne devrait-il pas être d’utilité publique, puisqu’il semblerait que le message originel, mal traduit, n’ait pas été transmis ou mal ou pas dans sa totalité? Que du coup, de siècle en siècle, les individualités sont devenues plus puissantes ? Et ont permis les communautarismes, au moins source de divisions, au pire source de guerres, ici peut-être, ailleurs très certainement?
Sans doute, il est
encore question de pédagogie…
SL
(1) ELLUL, D. « Apprendre l’hébreu biblique par les textes ».
Editions du Cerf, Paris, 2004, p.440. ISBN 2-204-07271-0
ELLUL, D. « Apprendre le grec biblique par les textes ».
Editions du Cerf, Paris, 2004, p.345. ISBN 2-204-07272-9
(2) THE UNBOUND BIBLE. Biola University. [En ligne]. Disponible sur :
« http://unbound.biola.edu/index.cfm?method=multilex.showSearchForm&detached=1 ». (consulté le
23/09/2012)
MESCHONNIC, H. « Traduire la Bible, de Jonas à Jona ». Revue
Persée, 1981, vol .51, n°51, p 35-52. [En ligne]. Disponible sur : « http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1981_num_51_1_5096 ». (consulté le
23/09/2012).
© Sylvie Lacoste octobre 2012
Article paru dans "EPT", journal de l'ERbdx, octobre 2012
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