jeudi 1 décembre 2011

Le bonheur en politique


Le bonheur en politique



Dans le cadre des conférences du Centre du Hâ 32, conférence du 17 novembre 2011 :
« Le bonheur en politique »

Est-ce que la politique doit s’occuper du bonheur des citoyens ? Ou le bonheur relève-t-il du domaine privé ?

Daniel Picotin, avocat et ancien député de Gironde et Alain Anziani, également avocat et aujourd’hui, sénateur ont tour à tour exposé leurs points de vue. Une table ronde animée par Nicolas Cochand.

Spontanément, pour Alain Anziani, le bonheur doit être l’objectif de la politique : atteindre le bonheur de la population. Et le sénateur avoue connaître de très grandes joies. Car la politique, c’est vivre ensemble. Ce n’est pas si évident toutefois. 
« L’homme est un animal politique » en vertu de son pouvoir de langage, affirmait Aristote. L’homme est naturellement fait pour vivre dans la cité, avec des lois sociales qui tendent à privilégier le juste sur l’injuste, le bien sur le mal. Autrement dit atteindre « le souverain bien ». Le bonheur n’était donc pas une affaire personnelle mais collective.
Toutefois, l’histoire a montré les risques de la politique lorsqu’elle veut imposer le bonheur par la loi, elle peut faire le malheur.
De fait, le bonheur serait-il devenu une affaire uniquement personnelle ? Il semblerait que oui. Il est vrai que ce qui rend heureux est difficile à cerner. Le bonheur est relatif et varie en fonction de chacun. Et c’est cette variété qui ferait que mettre la règle, la loi serait difficile. Selon Alain Anziani, le bonheur ne s’administre pas et ne peut donc relever de la politique. La politique ne fait pas le bonheur, mais évite le malheur. Elle ne peut que mettre en place les conditions du bonheur et non donner le bonheur.

Daniel Picotin souscrit aux propos du sénateur et ne croit pas au bonheur d’Etat : si c’est un programme politique, on est dans l’utopie, l’hypocrisie, l’escroquerie. Et de rappeler les désillusions d’André Gide et de Boris Vian de retour d’URSS.
Les politiques assurent les conditions nécessaires mais pas suffisantes pour le bonheur. Il reste donc bien une notion individuelle. Sensible au bouddhisme, Daniel Picotin qui a mis fin à sa carrière d’homme politique jeune et de son plein gré, cite Matthieu Ricard : « La cause première du bonheur réside en notre esprit, alors que les circonstances extérieures ne constituent que des conditions adverses ou favorables ». C’est l’histoire de la « bouteille vide/bouteille pleine ». Le bonheur est donc bien individuel. En tant qu’homme politique, a-t-il apporté, contribué au bonheur des citoyens ? Daniel Picotin a été plus heureux dans ses mandats locaux à Saint-Ciers- sur-Gironde même si en tant que commissaire sur le projet de bracelet électronique, il a contribué à éviter le malheur de l’incarcération. Au parlement, il a refusé à plusieurs reprises de voter le budget de l’Etat car toujours en déficit. Il ne comprenait pas pourquoi l’Etat s’endettait avec le sentiment d’un Etat écrasant et irréformable. Son bonheur aujourd’hui est de ne plus faire de la politique. Localement, il a le sentiment d’avoir participé à une forme de bonheur de ses concitoyens.

In fine, le bonheur relève bien du domaine individuel. Et même l’adoption d’un nouvel indicateur de mesure « le Bonheur National Brut » n’y change rien selon Alain Anziani.
Le BNB est une tentative de définition du niveau de vie préconisée par le roi du Bhoutan en 1972. Cet indice repose sur 4 principes : croissance et développement économique, conservation et promotion de la culture, sauvegarde de l’environnement et utilisation durable des ressources, bonne gouvernance responsable. Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’Economie reprend cette notion (rapport commission 2009). Cet indicateur reste néanmoins politique : dans ce classement, figurent en tête de liste tous les pays riches ! De là en conclure que le bonheur c’est la richesse, il n’y a qu’un pas…Hypocrisie encore ? On est loin de la définition du roi du Bhoutan.

Très justement, le débat riche, a amené à revenir sur la devise fondatrice de notre république démocratique, « Liberté, Egalité, Fraternité », garantie intrinsèque de notre bonheur et bien mise à mal. Par la loi, l’Etat s’engage à assurer la liberté et l’égalité qui permettent les conditions du bonheur du « démos ». Qu’en est-il de la fraternité ? De l’avis commun d’Alain Anziani et Daniel Picotin, on ne peut pas légiférer sur la fraternité. Cela explique-t-il Le désengagement de l’Etat, au gré des crises économiques, de l’action de solidarité financière auprès des associations ? Si on ne peut pas légiférer sur la fraternité, n’est-ce pas parce qu’elle est le sous-bassement, le fondement de la liberté et de l’égalité et qu’elle se place en même temps au-dessus? Oui, le bonheur est sans doute une disposition de l’esprit. Mais si le bonheur collectif n’est pas une affaire de la politique, qu’advient-il du bonheur individuel ? Peut-on être heureux seul ?
La fraternité est l’affaire de tous. Sans elle, pas de liberté et d’égalité possibles, pas de bonheur ni individuel, ni collectif possibles.


Sylvie Lacoste

Article paru dans le journal de l'ERbdx de Décembre 2011 

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