Les politiques économiques peuvent-elles contribuer au bonheur des citoyens ?
Conférence du cycle sur le bonheur au Centre culturel Hâ 32
par Paul Seabright, enseignant-chercheur à la Toulouse School of Economics, à l’Université de Toulouse.
Les
politiques économiques sont les moyens mis en œuvre par les états (et
leurs collectivités territoriales) pour améliorer leur situation
économique, et, implicitement, le bonheur des citoyens.
La science économique des XVIIIème et XIXème
siècles ne s’est jamais posé la question de la recherche, de la
poursuite du bonheur. Car les bases utilitaristes (doctrine morale et
politique fondée sur la notion d'utilité ou de « principe du plus grand
bonheur » permettant de diviser les actions ou les choses en bonnes ou
mauvaises selon qu'elles tendent à augmenter ou non le bonheur et à
diminuer la souffrance. Source : http://www.cnrtl.fr) de la science économique en sont le fondement même.
Pour
améliorer le bonheur des citoyens, on tente d’optimiser la liberté
individuelle. Ou plus simplement, plus nous sommes libres, plus nous
exerçons notre libre-arbitre (« Une action que l'on fait avec la
conscience de pouvoir ne pas la faire, c'est là ce que les hommes ont
appelé un acte libre » Cousin, Hist. philos. XVIIIème, t. 2, 1829, p. 501 / Source : http://www.cnrtl.fr) plus nous avons de choix et plus nous sommes heureux.
Les
politiques publiques donnent certes des outils aux citoyens, des moyens
pour construire leur propre bonheur, mais pas plus hier qu’aujourd’hui,
elles ne s’intéressent à leur bonheur dans sa dimension psychologique.
Au XXème
siècle, paradoxalement, la question du bonheur se pose de façon
concomitante avec la prospérité. Et il semble bien que le lien entre
prospérité et bonheur ne soit pas si évident que cela. Depuis une
vingtaine d’années, la science de l’économie comportementale montre que
nous ne sommes pas aussi rationnels que nous le pensons. Nous nous
trompons sur notre rapport au bonheur car le bonheur ne semble plus lié à
la prospérité.
Nous
faisons tous des choix peu prudents (épargne faible, toxicomanie,
obésité etc.) et les choix importants que nous faisons, sont souvent
influencés par des facteurs qui semblent arbitraires : lors de la crise
des subprimes, aux Etas-Unis, les banques centrales connaissaient
les risques liés à la bulle immobilière. Un autre exemple : en matière
d’énergie, nous sommes prêts à consommer moins, non pour protéger la
planète mais pour dépenser moins d’argent, surtout si nous savons que
notre voisin, lui, dépense moins que nous !) Nous ne faisons pas
attention aux risques et aux dangers majeurs qui doivent nous préoccuper
à l’occasion de certains de nos choix.
Alors,
sommes-nous capables d’assurer notre propre bonheur ? Ou avons-nous
besoin d’être encadrés, restreints dans nos choix pour être plus
heureux ? Alors quid des politiques économiques ? Quid de la science
économique et de son influence sur ces politiques, dans la recherche du
bonheur des citoyens ?
La
science de l’économie comportementale tente d’expliquer ces paradoxes.
Et certains économistes tirent des conclusions en faveur d’« un
paternalisme libertaire » dit aussi « architecture des choix ».
Richard Thaler et Cass Sunstein, dans leur ouvrage « Nudge, la méthode pour inspirer la bonne décision »,
définissent ainsi cette notion : « le concept derrière le paternalisme
libertaire est qu’il est possible de conserver la liberté de choix- donc
de l’idée libertaire- tout en faisant évoluer les gens dans des
directions qui améliorent leurs vies, d’où l’idée de paternalisme ». Un
exemple : en positionnant à première vue les plats diététiques (légumes)
plutôt que des aliments gras (frites) dans les self-services, on
augmente leur consommation. Et cela a des conséquences multiples :
économiques, sanitaires, sociales, politiques. N’avons-nous pas d’autres
choix que de nous voir imposer des limites ?
Paul Seabright pose trois questions.
Paul Seabright pose trois questions.
Savons-nous mesurer vraiment le bonheur ?
Ce qu’on dit sur le bonheur n’équivaut pas toujours à ce que nous
pensons, à ce que nous ressentons. Partant de là, difficile à partir
d’enquêtes, de faire des politiques publiques. Nous ne disons parfois
pas notre bonheur et nous sommes incapables de penser que nous sommes
comme les autres. Et nous avons des biais en nous comparant à d’autres
personnes dans certaines situations. Nous ne voulons pas parfois, notre
bonheur.
Et si nous savions mesurer le bonheur, faudrait-il privilégier la perspective de ce que nous regrettons ? Un citoyen qui n’épargne pas pour sa retraite, va-t-il le regretter,la retraite venue ? Un aventurier qui se blesse va-t-il regretter son courage ? Ces conflits de choix sont au cœur de nous tous et bien difficiles à résoudre. Cela suffit-il pour juger ces actions irrationnelles ? Peut-on choisir en toute lucidité de risque, l’aventure, le devoir, la loyauté, la vérité etc… ?
Notre conception du bonheur peut-elle évoluer ? Pour Paul Seabright, prendre du recul et avoir une perspective évolutionniste de la question semble essentielle pour mieux comprendre. Le bonheur pour le bonheur n’a jamais joué de rôle adaptatif dans nos stratégies individuelles et sociales. Intéressé par la primatologie et particulièrement les grands singes, Paul Seabright (« La Société des inconnus-Histoire naturelle de la collectivité humaine») souligne que le rôle de la liberté dans notre évolution a été bien plus décisif que celui du bonheur. Des grands singes, nous avons hérité d’une tension centrale entre coopération et compétition, sans jamais négliger la protection de la liberté des plus faibles. En cela, ils ont inventé la démocratie poursuivie par les chasseurs-cueilleurs et que nous avons réussie, au moins pour un temps.
Et si nous savions mesurer le bonheur, faudrait-il privilégier la perspective de ce que nous regrettons ? Un citoyen qui n’épargne pas pour sa retraite, va-t-il le regretter,la retraite venue ? Un aventurier qui se blesse va-t-il regretter son courage ? Ces conflits de choix sont au cœur de nous tous et bien difficiles à résoudre. Cela suffit-il pour juger ces actions irrationnelles ? Peut-on choisir en toute lucidité de risque, l’aventure, le devoir, la loyauté, la vérité etc… ?
Notre conception du bonheur peut-elle évoluer ? Pour Paul Seabright, prendre du recul et avoir une perspective évolutionniste de la question semble essentielle pour mieux comprendre. Le bonheur pour le bonheur n’a jamais joué de rôle adaptatif dans nos stratégies individuelles et sociales. Intéressé par la primatologie et particulièrement les grands singes, Paul Seabright (« La Société des inconnus-Histoire naturelle de la collectivité humaine») souligne que le rôle de la liberté dans notre évolution a été bien plus décisif que celui du bonheur. Des grands singes, nous avons hérité d’une tension centrale entre coopération et compétition, sans jamais négliger la protection de la liberté des plus faibles. En cela, ils ont inventé la démocratie poursuivie par les chasseurs-cueilleurs et que nous avons réussie, au moins pour un temps.
La
naissance de l’agriculture, voilà 10 000 ans, a changé la donne. Avec
la sédentarisation, les richesses augmentent et les plus riches peuvent
se payer les moyens de rendre en esclavage les plus faibles.
Nos sociétés modernes sont encore moins égalitaires car les richesses sont encore plus nombreuses.
La
démocratie est chancelante, la liberté est menacée et les combats pour
la préserver sont multiples. Et le bonheur ? Comme tout au long de notre
histoire, il vient après la liberté, dans la vie quotidienne car nous
n’avons pas le temps.
Et
l’économie de demain ? Selon Paul Seabright, elle ressemblera plus à
celle des chasseurs-cueilleurs avec le développement de la culture de
l’information et des produits culturels plus généralement. Ce sera donc
une structure économique plus égalitaire, à la condition qu’il y ait une
éducation des plus pauvres pour préserver la liberté et sans doute
contribuer consciemment ou non à notre bonheur.
Sylvie Lacoste
Article publié dans le journal de l'ERbdx, février 2012
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