Le bonheur en politique
Dans le cadre des conférences du
Centre du Hâ 32, conférence du 17 novembre 2011 :
« Le bonheur en
politique »
Est-ce que la
politique doit s’occuper du bonheur des citoyens ? Ou le bonheur
relève-t-il du domaine privé ?
Daniel Picotin,
avocat et ancien député de Gironde et Alain Anziani, également avocat et
aujourd’hui, sénateur ont tour à tour exposé leurs points de vue. Une table
ronde animée par Nicolas Cochand.
Spontanément, pour
Alain Anziani, le bonheur doit être l’objectif de la politique : atteindre
le bonheur de la population. Et le sénateur avoue connaître de très grandes
joies. Car la politique, c’est vivre ensemble. Ce n’est pas si évident
toutefois.
« L’homme est
un animal politique » en vertu de son pouvoir de langage, affirmait
Aristote. L’homme est naturellement fait pour vivre dans la cité, avec des lois
sociales qui tendent à privilégier le juste sur l’injuste, le bien sur le mal.
Autrement dit atteindre « le souverain bien ». Le bonheur n’était
donc pas une affaire personnelle mais collective.
Toutefois,
l’histoire a montré les risques de la politique lorsqu’elle veut imposer le
bonheur par la loi, elle peut faire le malheur.
De fait, le bonheur
serait-il devenu une affaire uniquement personnelle ? Il semblerait que
oui. Il est vrai que ce qui rend heureux est difficile à cerner. Le bonheur est
relatif et varie en fonction de chacun. Et c’est cette variété qui ferait que
mettre la règle, la loi serait difficile. Selon Alain Anziani, le bonheur ne
s’administre pas et ne peut donc relever de la politique. La politique ne fait
pas le bonheur, mais évite le malheur. Elle ne peut que mettre en place les
conditions du bonheur et non donner le bonheur.
Daniel Picotin souscrit
aux propos du sénateur et ne croit pas au bonheur d’Etat : si c’est un
programme politique, on est dans l’utopie, l’hypocrisie, l’escroquerie. Et de
rappeler les désillusions d’André Gide et de Boris Vian de retour d’URSS.
Les politiques
assurent les conditions nécessaires mais pas suffisantes pour le bonheur. Il
reste donc bien une notion individuelle. Sensible au bouddhisme, Daniel Picotin
qui a mis fin à sa carrière d’homme politique jeune et de son plein gré, cite
Matthieu Ricard : « La cause première du bonheur réside en notre
esprit, alors que les circonstances extérieures ne constituent que des
conditions adverses ou favorables ». C’est l’histoire de la « bouteille
vide/bouteille pleine ». Le bonheur est donc bien individuel. En tant
qu’homme politique, a-t-il apporté, contribué au bonheur des citoyens ?
Daniel Picotin a été plus heureux dans ses mandats locaux à Saint-Ciers-
sur-Gironde même si en tant que commissaire sur le projet de bracelet
électronique, il a contribué à éviter le malheur de l’incarcération. Au
parlement, il a refusé à plusieurs reprises de voter le budget de l’Etat car
toujours en déficit. Il ne comprenait pas pourquoi l’Etat s’endettait avec le
sentiment d’un Etat écrasant et irréformable. Son bonheur aujourd’hui est de ne
plus faire de la politique. Localement, il a le sentiment d’avoir participé à
une forme de bonheur de ses concitoyens.
In fine, le bonheur
relève bien du domaine individuel. Et même l’adoption d’un nouvel indicateur de
mesure « le Bonheur National Brut » n’y change rien selon Alain
Anziani.
Le BNB est une
tentative de définition du niveau de vie préconisée par le
roi du Bhoutan en 1972. Cet indice repose sur 4
principes : croissance et développement économique, conservation et
promotion de la culture, sauvegarde de l’environnement et utilisation durable
des ressources, bonne gouvernance responsable. Joseph Stiglitz, Prix Nobel
d’Economie reprend cette notion (rapport commission 2009). Cet indicateur reste
néanmoins politique : dans ce classement, figurent en tête de liste tous
les pays riches ! De là en conclure que le bonheur c’est la richesse, il
n’y a qu’un pas…Hypocrisie encore ? On est loin de la définition du roi du
Bhoutan.
Très justement, le
débat riche, a amené à revenir sur la devise fondatrice de notre république
démocratique, « Liberté, Egalité, Fraternité », garantie intrinsèque
de notre bonheur et bien mise à mal. Par la loi, l’Etat s’engage à assurer la
liberté et l’égalité qui permettent les conditions du bonheur du « démos ».
Qu’en est-il de la fraternité ? De l’avis commun d’Alain Anziani et Daniel
Picotin, on ne peut pas légiférer sur la fraternité. Cela explique-t-il Le
désengagement de l’Etat, au gré des crises économiques, de l’action de
solidarité financière auprès des associations ? Si on ne peut pas
légiférer sur la fraternité, n’est-ce pas parce qu’elle est le sous-bassement,
le fondement de la liberté et de l’égalité et qu’elle se place en même
temps au-dessus? Oui, le bonheur est sans doute une disposition de l’esprit.
Mais si le bonheur collectif n’est pas une affaire de la politique,
qu’advient-il du bonheur individuel ? Peut-on être heureux seul ?
La fraternité est
l’affaire de tous. Sans elle, pas de liberté et d’égalité possibles, pas de
bonheur ni individuel, ni collectif possibles.
Sylvie Lacoste
Article paru dans le journal de l'ERbdx de Décembre 2011